Les Canadiens méritent une information vérifiée et fondée sur les faits
Benoit Chartier est président-éditeur et chef de la direction de DBC Communications Inc., président du conseil d’administration d’Hebdos Québec et membre du conseil de Médias d’Info Canada.
Dans leur livre Truth Decay, publié en 2018, Jennifer Kavanagh et Michael D. Rich de la RAND Corporation ont analysé le rôle que jouent les éditeurs et les diffuseurs d’information pour départager le vrai du faux. Ils distinguent les médias d’information des grandes plateformes technologiques, en soulignant que les premières peuvent être poursuivies pour diffamation et qu’elles respectent des normes journalistiques, ce qui les rend imputables.
Selon Kavanagh et Rich, « les filtres et les algorithmes intégrés aux plateformes de médias sociaux et aux moteurs de recherche comme Google contribuent à la désinformation (Truth Decay) — notamment en accentuant les désaccords et en brouillant la frontière entre opinion et faits — puisqu’ils introduisent un biais dans les types d’information qu’une personne est susceptible de consulter ou de partager. »
Depuis la parution de leur ouvrage il y a sept ans, l’intelligence artificielle générative a aggravé le problème. Les entreprises d’IA aspirent et résument sans vergogne du contenu tiré directement d’articles journalistiques. Il s’agit tout simplement d’un vol à l’échelle industrielle.
Les éditeurs sont lésés, car ces synthèses sont si détaillées que le lecteur demeure souvent captif de l’écosystème fermé des géants du numérique, sans jamais être redirigé vers les sites de nouvelles par des hyperliens. Sans clics, pas de revenus à réinvestir dans un journalisme vérifié fondé sur des faits.
Les lecteurs en souffrent également. Trop souvent, ces résumés produits par l’IA offrent une bouillie indigeste : informations inexactes, hors propos, périmées, voire nuisibles. Dans l’économie de l’attention actuelle, ces entreprises privilégient l’engagement au détriment de la rigueur, laissant à l’usager la lourde tâche de distinguer le vrai du faux.
Dans un monde saturé de mésinformation et de désinformation, nous avons besoin d’un journalisme vérifié fondé sur les faits. La production participative (crowdsourcing) n’est pas du journalisme. Il n’existe pas de « faits alternatifs » : il n’y a que les faits. Et les Canadiens ont besoin de connaître ces faits pour vivre, prendre des décisions éclairées et participer pleinement aux processus démocratiques.
« Acheter canadien » fait partie de la solution.
Selon un rapport récent de Canadian Media Means Business, 92 % des revenus publicitaires numériques aboutissent aujourd’hui dans les coffres de plateformes étrangères, mettant en péril la viabilité des médias canadiens. Les gouvernements du pays ne devraient pas dépenser leurs budgets publicitaires auprès de géants étrangers de la recherche et des réseaux sociaux. Ils doivent joindre le geste à la parole et « acheter canadien ». Ils devraient emboîter le pas au gouvernement de l’Ontario, qui réserve un minimum de 25 % de son budget publicitaire aux marques de presse de confiance. Et cela devrait constituer l’un des piliers de la nouvelle Politique d’achat canadien du gouvernement fédéral, qui vise à assurer la résilience et l’autonomie de notre économie.
Au-delà de garantir un placement publicitaire sûr et sans frais supplémentaires pour le contribuable, un quota fédéral enverrait un signal fort aux autres paliers de gouvernement et au secteur privé quant à l’importance de protéger la souveraineté numérique du Canada et de soutenir un journalisme indépendant, viable et d’intérêt public.
Plus de 85 % des adultes au Canada consultent chaque semaine des contenus journalistiques publiés dans les journaux, et les deux tiers leur font confiance — devant la télévision, la radio, les magazines, les médias sociaux et la recherche en ligne.
En cette Semaine nationale des journaux, face à la montée des fausses nouvelles amplifiées par des algorithmes qui privilégient l’engagement, il est dans l’intérêt de tous de protéger la vérité.